Le 15/07/2006, 00h15
Etude autour du terme si mal connu d'hydropathe
Abstract: L'article suivant s'articule autour de deux axes. Tout d'abord, l'auteur s'attache à définir le plus précisément possible le terme, ainsi que son histoire. La seconde partie est employée à présenter la "Société des Hydropathes".
Contexte bibliographique"Hydropathe", en tant qu'adjectif ou nom masculin, est un terme dont la présence dans les dictionnaires ou encyclopédies de la langue française semble, après étude, hautement variable. [Littré] et [Larousse1] définissent les mots "hydropathe" et "hydropathie". En revanche, [Robert] ne cite qu'"hydropathe". Enfin, aucun de ces termes n'apparaît dans [Larousse2] ou [Quillet].
En tenant compte du fait qu'Emile Littré a écrit son dictionnaire autour des années 1880 (même si ce dernier continu de vivre et de s'enrichir, puisque le terme "computer" figure dans la dernière édition), et en exceptant [Robert], il semble que le terme étudié, fort peu usité par ailleurs, ait tendance à disparaître du français moderne. La raison en apparaîtra par la suite.
DéfinitionEn synthétisant les définitions de [Larousse1] et [Robert], on obtient ce qui suit.
Hydropathe: adj. et n.m. Qui soigne et prétend guérir par l'usage exclusif, interne ou externe, de l'eau pure.
[Littré] introduit une nuance particulière. Il le définit comme un terme vulgaire et de plaisanterie. Il précise également, à propos d'"hydropathie", que ce terme est non employé en médecine, car mal fait.
En fait, dans le vocabulaire médical moderne (et correctement formé), hydropathe et hydropathie sont à remplacer par hydrothérapeute et hydrothérapeutie (ou hydrothérapie).
Histoire et origineLes termes "hydropathe" et "hydropathie" sont attribués en France à Louis Marie Roch Reybaud, et apparaissent dans sa caricature sociale "Jérôme Paturot à la recherche d'une position sociale" (1842) (date trouvée dans [Bordas], alors que [Robert] date la naissance d'"hydropathe" à 1843):
"Voici les hydropathes, nouvelle invention, école de Priessnitz l'allemand".
"En tombant du haut d'une montagne, mon brave Priessnitz se brise trois côtes et il invente l'hydropathie, c'est à dire l'art de guérir les humains avec de l'eau claire".
Il est probable alors que ces mots, comme [Robert] le suppose, viennent de l'allemand. Ce qui explique pourquoi [Littré] les trouve incorrectement formés pour le français, et sans doute pourquoi ils sont tombés en désuétude au profit des termes corrects (cf. Définition).
Les HydropathesContrairement à l'adjectif ou le nom commun, les Hydropathes, nom propre, est présent dans toutes les encyclopédies ou dictionnaires consultés contenant les noms propres ([Larousse1], [Larousse2], [Quillet], [Robert]). Il n'y a guère que dans le Petit Larousse illustré (éd. 1993, 1 volume) qu'on ne trouve ni l'un ni l'autre (mais bon, faut pas déconner non plus, on est sérieux ou on ne l'est pas).
Dès la fin de la guerre de 1871, dans les cafés, hauts lieux de la littérature, s'échangent des idées, des théories, surgissent des écoles et des nouvelles tendances. Des groupes, souvent éphémères et tapageurs, se constituent, tel celui des Vilains Bonshommes, dont fit partie Verlaine. Le plus célèbre d'entre eux sera celui des Hydropathes.
La société littéraire des Hydropathes fut fondée à Paris, le 11 octobre 1878, par Emile Goudeau, assisté de M. Rollinat et G. Lorin. Sa vocation littéraire était de permettre aux poètes d'interpréter eux-mêmes leurs vers devant le public, membres de la société, donc auditoire qualifié, juge suprême. Le mode de recrutement était simple : "Pour faire partie du club, il suffit d'adresser sa demande au Président. Le futur Hydropathe doit faire preuve d'un talent quelconque: poète, musicien, littérateur, déclamateur, etc.". Rapidement, ivrognes, étudiants en mal de chahut se mêlèrent aux artistes. De 75 membres lors de la première séance, la société croîtra jusqu'à 300 à 350. On peut citer parmi ses membres des talents aussi divers que ceux de P. Bourget, Maupassant, F. Coppée, Sarah Bernhardt, J. Laforgue, C. Cros.
Après la dissolution en 1880, les Hydropathes se scindèrent en trois groupes: les Hirsutes, les Décadents, le Chat-Noir.
Le nom de ce groupe vient du titre d'une valse (Hydropathen) que chantonnait Goudeau, le fondateur. Cependant, ce mot-programme était pris à rebours de son sens médical par les membres du mouvement, lui attribuant plaisamment (sur le modèle de névropathe "malade des nerfs", ...) la signification habituellement assignée à hydrophobe ([Robert]). [Quillet] nous les introduit comme: ceux qui souffrent de boire de l'eau. Le nom du fondateur se prêtait à ce sujet à de faciles calembours:
Certes ne t'attends pas à trouver un goût d'eau
Au Parlement criard que dirige Goudeau.
D'après N. Richard, les Hydropathes "professaient une sainte horreur de l'eau, lui préférant le jus de treille". On peut encore citer Charles Cros, qui écrivit:
Hydropathes, chantons en choeur
La noble chanson des liqueurs.
Bibliographie[Bordas] :
Dictionnaire des littératures de langue française.
[Larousse1] :
Larousse Universel en 2 volumes, édition de 1960.
[Larousse2] :
Grand Larousse Universel en 15 volumes, édition corrigée de 1986.
[Littré] :
Dictionnaire de la langue française Emile Littré (écrit vers 1880).
[Quillet] :
Dictionnaire Encyclopédique Quillet, édition corrigée de 1983.
[Robert] :
Dictionnaire de la langue française, édition de 1986.
Le lecteur intéressé par les Hydropathes consultera avec profit les ouvrages suivants:
Emile Goudeau,
Dix ans de bohème, 1888.
Jules Lévy,
les Hydropathes, Delpeuch, 1928.
Raymond de Castéras,
les Hydropathes, Messein, 1945.
C'est un vieux texte que j'avais écrit, dans le style d'un article de recherche, pour éclairer un couple d'amis sur le sens du terme
hydropathe, employé un jour dans une carte postale. J'en ai retiré ici les références à ladite carte. Mais je pense qu'il a sa place dans ce café, car l'esprit des Hydropathes y flotte parfois.
Allez, tiens, tournée générale...