<< De l'autre côté
La légende, et la terre qui la voit naître >>

Le 01/05/2016, 23h40

La vie rêvée des illustrateurs


On a pas mal parlé de la vie des artistes, illustrateurs et autres, et de leurs difficultés. A mon niveau, j'ai un petit témoignage à ajouter comme brique au mur de la réalité.

Ma copine Murielle, écrivain à temps partiel dont je vous ai causé plusieurs fois ici même, est alors en train de publier son cinquième roman. Elle a changé d'éditeur et me demande si je suis intéressé par lui dessiner une couverture (elle a plus de liberté sur ce point avec le nouveau). Banco !

Assez rapidement, je fais allusion à une rémunération pour ce travail. Pas que j'en aie à tous prix besoin pour vivre, mais par respect pour mes amis dans la profession, et pour ne pas que se propage par moi l'idée que l'illustrateur est le seul à fournir un travail qui ne mérite pas de rémunération dans la fabrication d'un livre (ah mais oui, c'est vrai, c'est pas un travail puisqu'il aime dessiner). Ma cops me répond qu'elle a posé la question à l'éditrice lors de leur première rencontre. Ils n'ont pas l'habitude de travailler comme ça. C'est plutôt des potes des auteurs qui font ça gratos. Mais au mieux, la dame pourrait aller jusqu'à 200€.

Comme la maison d'édition est petite, que je faisais ce boulot pour une copine et que je n'avais aucune idée des tarifs pro, je ne comptais même pas demander ça. Je réponds donc à Murielle de ne pas s'inquiéter, que je n'irais pas jusqu'à exiger cette somme, ne comptant pas gagner plus qu'elle sur la vente d'un de ses bouquins.

Et, à partir de là, on n'en parle plus. Mais -observez bien la subtilité- pour des raisons différentes :

- moi, parce qu'une somme avait été évoquée et qu'elle me convenait;


- elle, parce qu'elle avait déduit de ma réponse que je renonçais à me faire payer. C'est dire si elle ne comptait pas gagner beaucoup d'argent avec cette publication. Les illustrateurs ne sont pas les seuls à souffrir, mon bon meussieu. Les auteurs ne sont pas spécialement mieux lotis. Du coup, ma demande n'est pas remontée jusqu'à la maison d'édition.



Là dessus, l'œuvre est produite, dans un processus qui, après coup, me laisse admiratif en regard de ma capacité de gestionnaire de projet :

- je fais 2 premières propositions;



- Mumu me fait part de ses idées, me rappelle un dessin que j'avais fait pour annoncer ici la sortie de son second;


- je mène 4 pistes en parallèle, en échanges constants avec elle;



- les propositions sont présentées à l'éditrice qui en choisi une;


- cette proposition est encore modifiée sur une idée de Murielle puis, enfin, finalisée.



Force de proposition mais à l'écoute permanente du client, le tout en réalisant le travail dans le temps imparti. Moi, je dis "bravo" :)

La version finale plaît à tout le monde. C'est parfait.



Au bout d'un long moment, je me dis qu'on peut enfin reparler de sous. Mail à Mumu. Surprise. Explication. Gène. Gène de devoir demander à quelqu'un de payer pour quelque chose qu'il pensait avoir gratis. Elle prend sur elle et transmet ma demande à son interlocutrice. La dame doit défendre cette demande auprès de son boss (Le boss). Mais ce dernier n'apprécie pas qu'on lui réclame du blé après coup* et préfère, dans ce cas, ne pas se servir du dessin.

Je reste ferme sur ma position de principe. Ce n'est donc pas mon dessin qui illustre la couverture du bouquin de Murielle. Tant pis. C'est la faute à pas de chance (et à la radinerie d'un éditeur). Mais vous pouvez tout de même l'acheter, et je vous y invite, pour l'auteur et l'œuvre :)


"Gourou(e)" de Murielle Renault


* : il faut effectivement, et c'est logique, régler ce point avant de faire le travail. Mais vu le contexte, je n'avais pas pensé que ça puisse poser un quelconque problème.

Trop hype


J'ai décidé, moi aussi, de rejoindre le mouvement no-pooh.

Du coup, ça fait trois semaines que je n'ai pas fait la grosse commission. Ça me tiraille un peu au bas du ventre (personne ne parle de ces symptômes sur le net), mais ça va aller. J'y crois. Fort. Yanamare de toute cette pollution fécale...







Eh, déconnez pas ! Le mouvement, c'est no-poo et il ne concerne pas l'arrêt des fèces mais celui du shampoing. Mais même en anglais, l'orthographe a son importance. Avec un h, c'est caca. Et ainsi, de façon assez acrobatique, j'arrive aussi à créer une continuité avec le jeu de mot de fin de mon précédent post. Qui m'étonne moi-même. Trop fort...



- Mots clés : Dessin, Murielle Renault, Blabla, Jeu de mots -
Ben oui, ça doit être négocié avant...
Mais j'adore le si célèbre : "Ils n'ont pas l'habitude de travailler comme ça. C'est plutôt des potes des auteurs qui font ça gratos..."
Professionalisme, quand tu nous tiens.
Et c'est, entre autres, à cause de ça qu'il est très difficile de répondre à la question : "C'est quoi les tarifs dans la profession ?"
Le paradoxe, c'est que ça dépend souvent des moyens du client. Le même dessin sera vendu à des prix différents suivant la surface de diffusion et les moyens du camp d'en face.
Par la magie des droits de diffusion, les riches payent pour les pauvres, en quelque sorte.

Après, il y a 2 axiomes simples :

- C'est ton oeuvre, c'est toi qui décides.
Tu VEUX BIEN taffer pour zéro ou que dalle parce que le projet te plaît/c'est pour un pote/ autres raisons variées.
Mais ça doit être cadré.
Il faut acter le bazar par un petit contrat contresigné pour bien valider que OK, tu fais ça gratos ; mais les droits sont strictement limités à un usage et une durée définis.
Ça souligne bien que non, bosser gratos, c'est pas normal, c'est une fleur que tu leur fais ; mais faut quand même pas te prendre pour un faisan.

2- Pas de blé, pas d'idées. Ou le minimum syndical.
Tu n'es pas payé, ça ne veut pas dire que tu es corvéable : tu limites drastiquement le nombre de propositions et de corrections.
le 02/05/2016 à 9:14
Je n'ai jamais cru à l'argument selon lequel les illustrateurs étaient mal payés (quand ils l'étaient) parce qu'ils tireraient l'essentiel de leur rémunération du seul plaisir de dessiner ou de voir leur travail en couverture d'un livre ou d'un magazine. Accepter de ne pas être payé en monnaie sonnante et trébuchante est souvent, hélas, la seule opportunité qu'ils entrevoient pour être publié, tenter de se créer un book et démontrer à l'éditeur suivant qu'ils savent faire...
En aucun cas les jeunes auteurs inconnus, ou peu connus, ne sont considérés comme d'authentiques espoirs pour lesquels un éditeur serait disposé à consentir de véritables moyens pour les soutenir et les aider à s'affirmer. Le plus souvent, ils ne servent malheureusement qu'à remplir le catalogue des maisons d'édition peu scrupuleuses.
Ce n'est pas le système qui est pourri et pervers, mais les personnes emplies de mépris et de brutalité qui l'organisent ainsi et s'en servent.
le 02/05/2016 à 9:36
Mais il y a aussi une grosse part d'ignorance de la part des débutants, parce qu'il n'y a aucune formation dans les écoles d'art sur ces questions des tarifs et de la négo.
Des groupes ont été créés sur FB pour éduquer un peu tout le monde, et c'est une bonne chose.

Mais il reste que cette légende comme quoi l'artiste plane bien au dessus de la bassesse et la vulgarité des questions d'argent puisque l'amour et l'eau fraîche le nourrissent, est tenace dans l'inconscient collectif, MÊME chez les artistes !
Je me souviens d'une amie plus ancienne que moi dans le métier, qui m'écoutait discuter des points techniques de comptabilité avec son comptable à elle, et qui a fini par s'exclamer : "Tu comprends ces choses-là, toi ? Mais enfin, c'est pas possible ! Alors tu n'es pas une artiste ?"
Si ça n'avait pas été une amie si chère, je l'aurais baffée.
Et j'en ai vu des artistes qui trouvaient aussi que c'était "gonflé de demander autant d'argent pour un petit dessin" et qui se faisait payer le prix d'une carte postale ou d'un poster pour un dessin original...
le 02/05/2016 à 10:55
Tu devrais vendre tes aquarelles à la fete du village me dit une maman de l'ecole. Je dis, tiens, je pourrais vendre des prints. Pourquoi tu ne vends pas les aquarelles originales me dit la maman. Parceque je les vendrais entre 300 et 1000 et que c'est pas l'endroit pour ce genre de prix. Le regard d'horreur qu'elle m'a jeté !
Je viens du jeu et du cinoche ou un artiste perd les copyrights ...mais est normalement payé un saliare du coup, qui correspond aux droits du travail, donc gagne de quoi vivre. Bon c'est tres pollué et certaines entreprises attendent le double du travail gratos, mais j'ai eu la chance d'etre dans des entreprises celebres donc surveillées et qui payaient normalement. J'ai pris l'habitude qu'etre artiste ce soit aussi un métier. L'exploitation , c'est aussi parcequ'on se laisse faire.
le 02/05/2016 à 17:52
Le regard d'horreur...
Dans l'esprit des gens, il y a 2 types d'artistes : ceux qui font un max de blé et qui sont des stars dont on rêve de posséder un gribouillon sur un ticket de métro pour spéculer, et les autres qui peuvent bien travailler gratos.
le 04/05/2016 à 21:59
PrincessH › il semble assez ancré dans l'imaginaire collectif que l'artiste est un être maudit, qui crée dans la souffrance, vit comme un bohémien et, au mieux, est reconnu après sa mort. Et, comme tu le dis, dans le cas d'une reconnaissance du vivant, c'est du tout ou rien. Ce tout ou rien dans l'imaginaire et aussi valable pour d'autres formes d'art. Alors que la plupart des gens qui vivent de la musique ne passent pas à la télé (même s'ils gagnent moins que ceux de la télé, ils en vivent quand même).

Thierry › quand tout se défini comme centre de coût ou de profit, c'est la façon même d'envisager une activité qui est viciée, dénaturée.

Delphine › oui, l'exploitation, c'est parce qu'on se laisse faire. Mais c'est toujours une question d'équilibre de pouvoir, de besoin (ou de nécessité). Quand tu es dans un système mal équilibré (parce que dans ton pays, dans ta branche... les choses sont organisées ainsi, ou pas organisées du tout), quand tu as besoin de blé... nécessité fait force de loi.
Mais peut-être que, comme l'envisage son altesse, si les artistes étaient sensibilisés au problème des tarifs, ils pourraient ne pas descendre en dessous d'un prix donné - jusqu'à ce que les donneurs d'ordre passent commande à l'étranger.
le 10/05/2016 à 11:25
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