Le 27/04/2016, 01h10
De l'autre côté
Comment nous comportons-nous quand on nous accorde un pouvoir que nous n'avions pas, que nous avions toujours subi, ou encore quand nous le prenons ? Bref, que se passe-t-il quand nous passons de l'autre côté ?
Son altesse sérénissime PrincessH a évoqué cette question, en souriant, dans un récent dessin pour le journal de Julie.
Personnellement, la chose m'est arrivée une fois. J'ai commencé une thèse. J'étais déjà ingénieur (ça vous pose un homme), j'avais fini mon service militaire (ça vous le date) et la recherche me faisait de l'il. Vous me connaissez, je n'ai jamais su résister à ce genre d'avances.
Pendant les quelques mois qu'a duré ce début de thèse, qui n'a jamais dépassé ce stade, j'ai été amené à surveiller un partiel -un devoir sur table, un truc comme ça. J'ai été momentanément investi d'un nouveau pouvoir, celui des profs qui avaient accompagné ma scolarité. J'avais leur autorité pendant deux heures. J'en ai donc usé pour bien faire -car j'essaie toujours de faire bien- ce que je pensais qu'on attendait de moi : empêcher les étudiants de tricher. Un surveillant ne peut servir qu'à ça le temps d'une épreuve écrite. Je les ai donc regardé, tous, et j'ai marché entre les rangées de tables.
C'est fou ce qu'on voit quand on est de l'autre côté. Les élèves sont naïfs de se croire invisibles en tentant d'être discrets. C'est qu'ils n'ont jamais fait l'expérience de l'autre point de vue, depuis le bureau du prof. Pour peu qu'on regarde, parce qu'on n'est pas occupé à écrire au tableau, on y voit vraiment tout.
J'ai donc parfaitement vu cette demoiselle et l'état de détresse qui était le sien devant le sujet de l'épreuve. J'ai vu ses tentatives pour chercher de l'aide, celles de ses voisins pour lui en fournir. Et comme surveillant cherchant à bien surveiller, j'ai regardé souvent, ostensiblement, dans sa direction. J'ai marché dans les allées bordant sa table, interrompant ainsi les tentatives de secours.
En passant, il est intéressant de s'arrêter sur ce pouvoir qui n'existe que parce que ceux sur lesquels il s'exerce croient en lui. Car enfin, qu'est-ce que j'aurais fait si ils avaient, sans se soucier de ma présence, échangé des réponses ? Je n'avais reçu aucune consigne à ce sujet. Est-ce que j'aurais menacé, noté leurs noms pour les communiquer à ceux qui m'avaient promu à ce rôle de garde chiourme dont je tentais de m'acquitter au mieux ? Peut-être. Je n'en sais rien.
Ce jour-là, elle aurait voulu tricher, je le savais, et elle savait que je le savais. Quand elle a compris que je ne relâcherais pas ma surveillance, elle a rendu sa copie en avance et est sortie. Je crois me souvenir qu'elle était presque en pleurs.
Cette victoire, c'en était une car c'était un succès franc et net de la surveillance sur la triche, m'a tout de même laissé un sentiment mitigé. Si c'était sûrement ce qu'on attendait de moi, ce que j'avais fait était-il bien pour autant ? En école d'ingénieurs, nous avions eu un étudiant thésard qui surveillait certains de nos devoirs sur table et n'était pas trop regardant sur notre comportement pendant l'épreuve. Il était sympa, nous l'aimions bien. Au moment de décider comment agir, je ne disposais donc pas d'un modèle de comportement unique. Mais j'ai choisi celui majoritairement rencontré. Par ailleurs, mes parents ayant cherché à m'inculquer une certaine probité, il était important pour moi, dans une telle épreuve, que tous concourent avec les mêmes règles et que tous les respectent. Pourtant, et même s'ils ne sont que l'exception confirmant la règle, il a dû m'arriver en quelques rares cas de jeter un il de côté ou dans un livre pendant une épreuve. Au moment de décider comment agir, je savais donc qu'on peut ne pas toujours être au top et qu'une telle pratique, accidentelle, ne remet pas en cause tout un cursus.
Pourtant, je n'ai pas détourné le regard, bienveillant, compréhensif. J'ai fait ce que je pensais qu'on attendait de moi, sans état d'âme. Quand j'y repense aujourd'hui, j'espère fort ne jamais avoir à vivre une guerre. Je ne suis pas sûr que j'aimerai ce que j'y ferai.
Variante, version Disney
Jouer à "ni oui, ni l'ourson"...
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Au-delà de cette écriture, tu as bien retranscrit la complexité des sentiments qui peuvent nous animer en pareille situation. Où l'on mesure aussi, rétrospectivement, que certains examinateurs ont totalement oublié les élèves et les étudiants qu'ils ont été, utilisant leur statut comme un pouvoir d'asservissement teinté de perversion, voire de sadisme psychologique sur l'assistance dont ils ont la responsabilité. Étaient-ils eux-mêmes de bons élèves ?
J'ai eu quelques excellents profs (quatre ou cinq au total), des profs moyens, et assez de mauvais pour me demander dans quelle catégorie d'élèves (par rapport à ton texte) on aurait pu les ranger. Les mauvais médecins (et j'en connais), ont-ils obtenu leur doctorat à la suite d'une tricherie ou d'un malentendu dans leur cursus ? Cette étudiante, dont tu décris très bien la détresse, était-elle un mauvais élément jouant parfaitement la comédie, ou un bon élément se trouvant soudain en état de blocage total (j'en ai connu aussi) ?
Que l'on soit élève ou examinateur, les apparences sont parfois trompeuses. N'importe quel gamin entrant dans le système scolaire s'en rend compte très vite. Tout le reste de notre existence en est ensuite imprégné.
C'est un beau texte que tu as écrit là.